Rester anonyme c’est rester libre.
Tout le monde le connaît à travers ses cyber-tubes, sa véritable identité reste secrète, mais la force de ses textes en fait d'ores et déjà un génie inclassable. Rencontre avec le précurseur du tout cru à la marocaine, Noureddine, alias Awdellil.
Vous tenez toujours farouchement à l'anonymat ?
Oui, je préfère, ça ne me sert à rien d'être connu. La célébrité ne m'intéresse tout simplement pas.
Et puis, je ne cherche pas à faire du rap mon métier. Je ne veux pas avoir de maisons de disques sur le dos. Mais, surtout, je veux rester libre. Je veux faire des chansons quand je veux et quand j'en ai le temps. Faire de la musique juste pour la musique sans me préoccuper d'autre facteurs, que ce soit le système de censure ou les jugements de la société de répression.
Votre entourage connaît-il votre identité artistique ou êtes-vous inconnu aux yeux de tous ?
Non, tout mon entourage sait que je suis Awdellil, sauf peut-être mes parents à qui je n'ai jamais clairement avoué cela.
Vous n'avez pas peur que ça s'ébruite ?
Non, je sais que c'est inévitable. Mais tant que ce n'est pas vérifiable à 100 %, je ne vois pas ce qui peut me faire peur.
Dans le titre Raw daw, à quoi faites-vous allusion quand vous dites "allez, distribuez les paniers repas" ?
Joker.
Vous préférez ne pas répondre franchement, même si vous gardez l'anonymat !
En fait c'est pas ça, disons que je préfère laisser planer la confusion.
Etes-vous seul à composer et écrire ?
J'écris seul les textes. Parfois, quand je manque d'inspiration, je me fais aider par quelques amis, mais en général je compose tout seul.
Et la musique?
Pour la musique c'est variable. Il y a des instrumentaux que j'ai pris en entier comme dans Raw daw. Pour les autres je compose les beats (percussions).
Les rumeurs concernant votre pays et ville de résidence n'en finissent pas d'enfler. Alors, finalement, vous êtes au Maroc ou à l'étranger ?
J'ai vécu au Maroc jusqu'à mes 19 ans, à Casablanca plus précisément, avant de partir en France pour poursuivre des études en informatique. J'en suis à ma dernière année. Pour le moment, je passe mon stage de fin d'études.
Vous rentreriez au Maroc ?
Je suis en phase de décision. Ce n'est pas encore clair dans ma tête, mais ce qui est sûr, c'est qu'à court terme je reviendrai. Je resterai peut-être un peu de temps en France pour acquérir un peu plus d'expérience.
Musicalement aussi ?
Pas vraiment. Je ne me considère pas comme un professionnel. Tout ce que je fais, c'est en tant qu'amateur.
Comment vous est venue l'idée (le besoin ?) d'écrire ces textes ? Qu'est-ce qui vous a pris la première fois ?
Il y a 5 ou 6 ans, je suis tombé sur un morceau de rap en arabe. J'ai trouvé l'idée pas mal, même si c'était clairement de la "traduction" de rap français ou américain.
Entre parenthèses, j'ai toujours été fan des rappeurs américains et je trouvais que le hip hop en général, quoi qu'on en pense, reste le moyen d'expression des "gens de la rue". Si ce n'est que pour cela, il mérite d'être écouté. Pour ce qui est de l'idée de m'y mettre, au départ, c'était pour rire. Avec des copains, on prenait des morceaux de rap connus et on en changeait les textes en arabe. On a fait ça pendant un moment dans un cercle d'amis, et les chansons ont eu beaucoup de succès, rien qu'en passant d'une main à l'autre et même si les sujets n'étaient pas forcément intéressants. Là, je me suis dit pourquoi ne pas faire un rap en darija, qui ne soit pas une copie d'autres types de rap, et qui traite des véritables soucis et préoccupations de notre société. J'ai alors écrit et composé Raw daw et je l'ai faite diffuser par mail. Deux semaines plus tard, tous les étudiants marocains que je connaissais de près ou de loin l'écoutaient. J'ai donc fait les deux autres et j'ai mis un site internet avec les mp3 en téléchargement .La semaine d'après, je commençais à recevoir des mail de Marocains de partout dans le monde (USA, Europe, Moyen-Orient). Et tout cela grâce à d'autres sites qui ont repris les liens et diffusé les morceaux, mais aussi grâce au bouche à oreille qui fonctionne à merveille dans les milieux marocains.
Vous souvenez-vous de la date et des circonstances exactes où vous avez créé Raw daw ?
C'était en décembre 2002. L'idée était de dénoncer la culpabilisation qu'exerce la société sur l'individu quel qu'en soit le sexe. Et puis, les filles sont toujours pointées du doigt. Elles sont tenues pour responsables de tout ce qui leur arrive. Quand ce n'est pas totalement, c'est un peu. Pour moi c'était un premier test avec un vrai instrumental et un logiciel d'enregistrement. Cela m'a pris deux jours pour écrire et enregistrer les paroles. Mais j'avoue que j'étais particulièrement bien inspiré ce jour là (sourire)
Vous réalisez que vous êtes devenu un phénomène de société, que toute une génération connaît vos paroles par cœur ?
Ce n'est pas moi le phénomène. Il se trouve que notre société éprouve un grand besoin de s'exprimer et ne se reconnaît pas vraiment dans les productions artistiques en circulation actuellement dans notre pays. Les chansons en arabe classique ou "pseudo darija", les séries qui ne parlent pas la même langue que nous. Tout cela est peut-être bien, mais pas suffisant. C'est ainsi que j'explique le succès de mes chansons. Et puis, les idées aussi sont pour la plupart taboues dans notre société, ce qui éveille la curiosité des gens et leur donne envie d'écouter ce que je fais.
D'où tenez-vous votre inspiration en général, du vécu de personnes que vous connaissez, de groupes musicaux peut-être, de votre propre vie ?
En général, c'est dans mon entourage que je la puise, des différentes discussions que j'ai pu avoir, des témoignages qu'on me fait, avec un peu de mise en scène où je laisse éclore mon imagination.
Pourquoi le surnom "Awdellil" ?
Comme ça, il a bien fallu en choisir un. Non, c'est pour rire. En fait, c'est plus l'impression que ça donne, la symbolique qu'autre chose. Le cheval est un animal "sacré", représentatif de notre culture et "lil" (la nuit) parce que cela donne un aspect de légende, de secret… et enfin, j'aime bien les chevaux.
Vous travaillez, paraît-il, sur de nouveaux titres, quels en sont les thèmes ? Et à quand leur diffusion ?
Franchement, avec les études, je ne trouve pas actuellement le temps de faire de la musique. Mais j'ai plusieurs idées en tête. Je pense parler de "tberguig", de l'aristocratie marocaine, ou de la vie à l'étranger ou "lghorba". Il y a également un projet de film marocain conçu par des étudiants au Canada, auquel je pourrais participer musicalement. Il y aura des nouvelles d'ici la fin de l'été.
Vous avez seulement trois titres - Raw daw, Messoud et Samia l'ghaliya -... Que pensez-vous de tous les autres qui circulent sous votre nom ?
En réalité, pour les autres, ce sont soit des trucs que j'avais faits avec des potes mais sans travailler le texte ni la musique (d'ailleurs, on entend le vrai chanteur sur le fond sonore), soit des trucs que je ne connais pas du tout, mais ce qui est sûr, c'est que ce n'était pas destiné à circuler. D'ailleurs, les paroles sont souvent improvisées et ne veulent rien dire. C'est pour cela que je ne me considère pas comme auteur de ces chansons, même si j'ai pu y participer.
Vous connaissez le Boulevard des Jeunes Musiciens ?
Oui, je trouve que c'est génial. Je le suis un peu de loin, mais je suis trop éloigné pour être au courant de tout ce qui s'y passe. C'est un moyen efficace de récompenser et de faire sortir les jeunes talents. Dommage que je ne puisse pas y participer.
Je vous laisse la parole pour conclure !
Je voudrais remercier tous les Marocains qui m'envoient des mails et à qui je ne peux pas toujours répondre. Merci pour leurs encouragements et je voudrais qu'ils sachent que tout le monde peut s'exprimer à sa façon, que ce soit par la musique ou autre chose. L'important, c'est que ce soit original et surtout "marocain".